La mémoire des pierres
A l’époque où il n’y avait pas de pierre tombale, l’emplacement des sépultures était marqué par un petit cairn (tas de pierres) indiquant la "marque d'une âme" (Tsiyoun Le nefesh). Cela permettait également de signaler aux Cohanim (prêtres), l’emplacement d’une tombe afin de se prémunir contre toute impureté religieuse.
Les proches, et les voyageurs qui passaient à proximité, prirent l’habitude de déposer une pierre pour consolider le tumulus et honorer le défunt.
Cette coutume ancestrale s’est perpétuée de nos jours, où il est d’usage pour certains, en se rendant sur une tombe juive, d’y déposer une pierre, symbole de l’éternité de l’âme. C’est également une façon de perpétuer la mémoire, et de témoigner que la tombe n’est pas délaissée.
En hébreu,le mot pierre , אבן, (éven), peut se lire comme l’union des mots « av » et « ben » (père et fils), évocatrice de la filiation, et de la transmission.
Le père continue d’exister à travers son fils, par les valeurs qu’il lui a transmises, et qu’il transmettra à son tour à ses propres fils.
Par-delà les siècles, les juifs de Béziers, de retour de leur exil à Olot en 1214, se sont adressés à nous, en gravant ces mots dans la pierre de dédicace de leur nouvelle synagogue :
« Ecrit sur cette table de pierre, en mémoire pour les enfants d'Israël, afin que nos générations sachent ce que Le Seigneur a fait pour nous, et Sa puissance et les merveilles qu'il a opérées pour les exilés de notre peuple, habitants de cette ville… ».
A notre tour, nous avons voulu perpétuer leur mémoire, et témoigner de leur histoire et des valeurs pour lesquelles ils ont lutté afin de pouvoir nous les transmettre.
Enfin réunies
Elles sont trois, réunies aujourd’hui en notre musée de l’Hôtel de Cassagne, les trois pierres hébraïques dans lesquelles est inscrite une part de l’histoire des juifs de Béziers.
Notre première, et la plus ancienne, est la dalle funéraire de « Daniel, fils de Rabbi Paregores », datée probablement du Xe ou XIe siècle. Elle a curieusement pris place quasiment sur les lieux qui ont vu sa découverte, en 1890 lors de fouilles sur l’emplacement de l'ancien cimetière chrétien qui entourait l'église st Félix aujourd'hui détruite, et qui correspond à l’actuelle place Pierre Semard. Singulière trouvaille, pourrait-on penser, d’une pierre juive dans un cimetière chrétien…
Notre deuxième est la bien nommée « pedra misteriosa », gravée par les juifs de Béziers en 1209 lors de leur exil à Olot, durant la redoutable croisade albigeoise. Ayant séjourné un temps au musée juif de Gérone, probablement à des fins d’études, tous les auteurs indiquaient qu’elle s’y trouvait toujours. En réalité, aucune trace d’elle en ce musée dont les responsables ignoraient jusqu’à son existence.
Ayant en fait regagné Olot, elle avait pris place dans une vitrine du musée-trésor de l’église Sant Estève, seule pièce hébraïque un peu « perdue » au milieu d’objets du culte catholique, jusqu’à ce jour de 2018, où, lancés sur les traces de l’ancienne communauté, nous finissions, après bien des péripéties, par la retrouver.
Notre troisième, la plus récente, est la pierre dédicatoire de la synagogue royale de Béziers, vraisemblablement gravée en 1214, au retour de l’exil à Olot. La plus belle et la plus grande de toutes les pierres du Moyen Âge juif. D’une telle importance que les juifs de Leipzig, dit-on, en auraient donné une fortune…
Il aura fallu plus de 800 ans pour que la pierre d’Olot, gravée par les juifs de Béziers en 1209, fasse le chemin inverse, pour venir prendre place aux côtés de la pierre synagogale, retrouvant ainsi les liens séculaires qui les unissent.
Par-delà le symbole des « pierres jumelles », leur réunion tombait pourtant sous le sens, l’une étant la clé de la compréhension de l’autre.
Seul vestige juif de la ville, convertie en pierre d’autel chrétienne, unique occurrence d’une pierre synagogale comportant un toponyme, qui plus est celui d’une ville d’au-delà des Pyrénées, la pierre d’Olot avait de quoi intriguer ! Au point que l’on a pu suggérer que, gravée à Béziers, elle avait été transportée par les juifs en exil, jusqu’en Catalogne !
De son côté, la pierre synagogale de Béziers avait suscité, dès le 17e siècle, l’intérêt de nombre de savants qui en avaient donné des traductions et tiré des études plus ou moins fantaisistes, y compris le fait qu’il s’agissait d’une pierre ramenée de Jérusalem par des juifs s’établissant dans leur nouvelle patrie.
Comme quoi, on imaginait volontiers à cette époque les juifs sur les chemins de la diaspora emportant leurs stèles avec eux, tels les hébreux avec l’arche de l’Alliance.
Elle fut successivement datée de 1121, 1140, 1141, 1144, avant que le rapprochement avec la pierre d’Olot ne permette, par déduction, de la dater de 1214.
Pourtant, il existe une différence dans le texte des 2 pierres. Parlant de la communauté juive, l’inscription d’Olot emploie la 3e personne (ils), alors que celle de Béziers s’exprime à la 1ere personne du pluriel, (nous).
Les juifs de Béziers auraient-ils entrepris la construction d'une synagogue à Olot, puis regagné leur patrie avant l'achèvement de l’oratoire? D'autres juifs, venus s’installer ultérieurement, l’auraient-ils achevé et inauguré en gravant une dédicace à leur mémoire ? Ou bien une partie seulement des juifs d’Olot aurait-elle réintégré Béziers, laissant à ceux qui étaient restés, le soin d’achever l’édification de la synagogue ?
Quoiqu’il en soit, devant ces pierres enfin réunies, avec à leur pied, ce lit de cailloux de marbre blanc symbole de la transmission, de génération en génération, de la mémoire des anciens, le « pouvoir des trois » ne manquera pas de vous faire tomber sous le charme…
Alors si vous voulez vous y retrouver dans les dédales de la Mémoire Juive de Béziers, suivez avec nous les petits cailloux blancs …
Chantal VIOTTE-RABINOVITCH
RETOUR VERS LE FUTUR POUR LA PIERRE D’OLOT
Avec Giromarc MONTERO
Depuis ce jour de 2018, où les fondateurs de l’association Mémoire Juive de Béziers, lancés sur les traces de l’ancienne communauté, finissaient, après bien des péripéties, par la retrouver, la pierre d’Olot a entamé une seconde vie.
A la suite de cette re-découverte et des échanges établis avec l’évêché de Gérone et les services pédagogiques de Sant Estève, elle a enfin pris place, aux côtés d’un Christ du Gréco, dans le nouveau musée-trésor inauguré en mars 2019.
Plus de 800 ans après la croisade albigeoise, la voilà qui entre de plein pied dans le XXIe siècle, à l’initiative des héritiers spirituels de ceux qui l’ont gravée.
Afin d’en faire effectuer une copie à destination de notre musée juif de Béziers, nous nous sommes adressés à Giromarc MONTERO, artiste catalan bien connu, qui l’a d’abord numérisée afin d’en exécuter la copie en impression 3D. Il a ensuite réalisé la patine qui lui a donné l’aspect le plus approchant possible de l’original.
LES PIERRES HEBRAÏQUES BITERROISES NOUVELLES
Avec Olivier DELOBEL
Impossible de concevoir un espace muséal dédié à l’histoire de la communauté juive de Béziers sans donner une place centrale à la fameuse inscription hébraïque qui rappelle l’exil et le retour des juifs au XIIIe siècle lors de la croisade albigeoise.
Il s'agit de la plus grande et de la plus importante de toutes les pierres du moyen âge juif de France.
L’original de la pierre, de même que celui de la dalle funéraire de « Daniel fils de Rabbi Paregores », se trouve au musée du Biterrois.
Pour réaliser leurs copies, nous avons fait appel à Olivier DELOBEL, artisan sculpteur de Montredon Les Corbières, bien connu pour ses oeuvres sur Béziers. On lui doit notamment la réalisation de bustes monumentaux sur la place du 14 Juillet, le buste de Jean Jaurès, sur la place du même nom, la statue de la Résistance sur la place de la Révolution ainsi que des bustes du Jardin des Poètes.
Les copies ont été réalisées sur place au musée du Biterrois, par estampage avec un élastomère de silicone puis un moulage avec une coque en plâtre. Dans un deuxième temps, dans son atelier de Montredon, après démoulage, Olivier DELOBEL a coulé une résine de polyester chargée en poudre de marbre, patinée et talquée afin de faire ressortir les caractères hébraïques difficilement lisibles sur l’original de la pierre synagogale.